LISSAC (Ariège)
 
 
LES ANNEES 1900-1950
 
 
 
 
 
Ce dernier chapitre diffère des précédents par les sources utilisées ; cette période récente n’a pas fait l’objet de recherches dans des ouvrages ou documents d’archives. Il est cependant intéressant d’en évoquer quelques événements à partir de souvenirs de personnes ayant connu cette époque, ce qui confère parfois un caractère anecdotique aux lignes qui suivent.
 
 
 
Lissac au début du siècle
 
 
Lorsque le chemin de fer passe sur le territoire de la commune en 1861 (1), il annonce spectaculairement aux habitants de la basse Ariège le début d’une ère nouvelle, celle du machinisme, mais il ne change probablement rien à ce moment-là à leur mode de vie. En 1900, les habitants des campagnes sont surtout des paysans vivant encore d’une manière qui s’apparente davantage à la vie sous l’ancien régime qu’à celle que nous connaissons aujourd’hui. Les cartes postales du début du siècle en témoignent et nous permettent de mesurer l’évolution depuis cette époque. C’est en effet au cours du XX° siècle, et surtout dans sa deuxième moitié, que les effets du progrès scientifique et des inventions techniques du siècle précédent vont entraîner une rapide évolution de la vie quotidienne et de la vie économique des petits villages comme Lissac.
En 1900, Lissac compte environ 270 habitants et sa population est en diminution constante depuis une cinquantaine d’années, diminution qui va se poursuivre durant presque tout ce siècle qui commence (2). Paul Vidal en est le maire, Ulysse Thalamas l’instituteur de l’école des garçons, Sœur Fulgence et Sœur Rosalie les institutrices de l’école des filles. M. Cazajus est le curé de la paroisse (M. Tourrou lui succède en 1902). Le château appartient à la famille Mourère-Guilmain depuis 1895. Toutes ces personnes sont les notables de la commune (3).
C’est un village à vocation agricole : les habitants sont en majorité des cultivateurs, petits propriétaires ou fermiers qui exploitent chacun quelques hectares de terre ; la plupart habitent le village où ils ont hangar et étable. Il n’y a que quatre fermes sur le territoire de la commune : Porteteny, Prim, Miquelot sur les coteaux et Bontemps dans la plaine (4). Ces paysans cultivent surtout des céréales, notamment du blé dans la plaine ; les coteaux de Pouca et du Parouly sont couverts de nombreuses vignes (5). Ils élèvent le bétail nécessaire au travail de la terre et à leur subsistance : bœufs, vaches pour le lait, cochons et volailles. Certains ont aussi un cheval pour leurs déplacements en carriole ou calèche, notamment à la foire de Saverdun. Ces agriculteurs s’appelaient alors Castex, Gillet, Vidal, Oudol, Cassaing, Gaubert, Mercadié, Catala …
En dehors du travail de la terre,  on relève au début du siècle plusieurs personnes exerçant une autre activité. Il y a à Lissac deux briqueteries situées au bord du ruisseau, en amont du village, appartenant à MM. Lacombe et Vidal (bâtiments démolis vers 1970), trois cafés tenus par MM. Séguéla, Berdoulat et Delpech dit « Le Pista » (actuellement maisons Garric, Pessant et Doumeng), un bureau de tabac sur la place du village, tenu par M. Roques (maison Abribat-Proudhom), deux épiceries tenues par M. Etienne Breau (maison Boubila) et Mme Darnaud (maison Farré et Soula, rue Malbec), deux distilleries et fabrique de liqueurs (Barthe, en face de l’épicerie Breau, et Gillet à La Bourdette), un forgeron, M. Pierré (voir ancienne carte postale), deux cordonniers, MM. Salarenq et Colombiès (emplacement de la salle des fêtes et maison Morère), un coiffeur nommé Jacquet (rue Malbec, actuellement hangar Mercadié), trois maçons, MM. Breil (maison Breil, rue du moulin), Déjean (maison Jean-Marie Breau), et Pessant (garage de la maison Baylac puis maison Fauré-Dussert). Ce dernier travaillait à Saint-Quirc chez M. Delhom dit Le Pic.
Il n’y a pas de boulanger à Lissac : on fait son pain que l’on fait cuire au four communal (garage Sicre, au bord du ruisseau), ou bien on va le chercher à Saint-Quirc chez Jules Barrau. Jules Donnadieu, dit « Le Moulinié », fait des transports avec son cheval. M. Delpech, frère du cafetier, élève des chèvres rue Malbec (6).
Pour tout le monde, les conditions de vie et de travail sont difficiles. Elles n’ont évolué que très lentement au cours du siècle précédent (au rythme de l’amélioration des outils comme la charrue), la plupart des travaux se faisant encore manuellement. C’est cependant avant la guerre de 14 que vont apparaître les premières faucheuses mécaniques, tirées par un attelage de bœufs, puis les moisonneuses-lieuses ; à partir de ce moment-là, et malgré les difficultés et retards au développement engendrées par les deux guerres, le travail du paysan deviendra moins pénible et le métier évoluera plus rapidement (7).
Avant-guerre, on se déplace encore à pied ou à vélo pour ceux qui en possèdent un ; on va à pied jusqu’à Toulouse et même plus loin. Le train est trop cher pour la plupart des personnes du village.
Les maisons d’habitation sont anciennes, sans autre confort qu’une cheminée servant à la fois pour la cuisson des aliments et le chauffage. Pour tous leurs besoins domestiques, les gens vont chercher l’eau à l’aide des seaux à l’une des quatre pompes du village : à Sainte-Anne (8), à Marquèze, à l’église et rue du moulin. Les femmes lavent le linge à la main et vont le rincer au ruisseau.
Ce sont les saisons et les travaux des champs qui rythment la vie des habitants. Les moissons, les vendanges, la préparation du cochon que chaque famille élève sont l’occasion d’entraide et d’agapes. La fête locale, carnaval, les mariages sont les rares occasions de s’amuser.
La religion est pratiquée par une grande partie des habitants du village qui, le dimanche, vont à la messe le matin et aux vêpres l’après-midi. A la sortie de la messe, les paroissiens discutent devant l’église puis les hommes vont dans les cafés, distractions du village ; ils y jouent aux cartes (à la manille) et au billard.  
Les enfants vont à l’école (elle sera mixte en 1906) et passent le certificat d’études à l’âge de 13 ans. L’enseignement fait une grande place aux principes de base de la vie en société (discipline, morale, instruction civique) et aux matières nécessaires  pour affronter la vie courante et exercer un métier manuel (français, arithmétique, géométrie, leçon de choses, histoire, géographie). La sévérité faisait partie, à l’époque, des méthodes d’éducation (9). L’autorité des parents est alors bien marquée : les enfants vouvoient leurs parents.
 
 
 
La guerre de 14-18
 
 
Lorsque la guerre éclate, début août 1914, les moissons et travaux associés sont encore en cours et les femmes doivent suppléer leurs maris ou leurs fils pour les terminer ; il en sera ainsi durant les quatre années suivantes, la plupart des hommes de 20 à 35 ans étant mobilisés (10). Certains ne reviendront qu’au printemps 1919, parfois après six ou sept ans d’armée (avec le service militaire).
Les conditions de vie et de travail stagnent durant cette période, voir régressent, avec les restrictions ; les cartes pour la nourriture apparaissent une première fois, notamment pour le pain.
Comme dans toutes les communes de France, treize jeunes de Lissac et Labatut meurent sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. Leurs noms sont inscrits sur deux plaques de marbre blanc dans l’église, chapelle du Sacré-Cœur. Sont morts pour la patrie:
GARRIGUES Marius, 24 ans, Perthes-les-Hurlus, 16 février 1915
LEOTON Jean, 30 ans, Béthincourt, 7 mars 1916
BOUDENE  Emile, 21 ans, Vaux, 2 avril 1916
DELPECH Gaston, 28 ans, St Etienne, 1er juillet 1918
OUDOL Paul, 19 ans, Darmstadt, 9 août 1918
CASSAING Joseph, 23 ans, Poilly, 28 août 1918
MICHEAU Antonin,
DARNAUD Guillaume, 41 ans, Herbécourt, 25 juillet 1916
DEBAT Jean-Marie, 32 ans, Sailly-Saillisel, 22 octobre 1916
DEJEAN Frédéric, 24 ans, Craonne, 6 mai 1917
ABRIBAT Camille, 21 ans, Compiègne, 4 septembre 1918
LACOMBE Elysée, 21 ans, Raucourt, 28 août 1914
AURIAC Lucien, 26 ans, Wytschaëte, 2 novembre 1914
 
 
 
 
L’entre-deux-guerres
 
 
 
Même si leurs conditions de vie restent difficiles, on peut dire que c’est à cette époque que la vie moderne commence pour les habitants de Lissac ; en quelques années, ils vont voir apparaître l’électricité en 1926, le téléphone la même année (une seule cabine à l’épicerie Breil, rue du moulin), un service quotidien d’autobus pour aller à Toulouse en 1932, les premières automobiles possédées par des gens du village (M. Verguin, M. Blanc, M. Fauré) et la TSF. La mécanisation de l’agriculture va s’accélérer avec l’utilisation du tracteur.
L’électricité est mise en service à Lissac début août 1926 (c’était le jour de la fête locale à Gaillac). Les abonnements avaient été souscrits pour l’éclairage, les installations dans les maisons ne comportant que quelques lampes. Les personnes les plus âgées avaient ce jour-là quelque crainte à tourner le bouton pour s’éclairer ! (11). Hippolyte Garrigues, qui a appris le métier d’électricien avec les installateurs du réseau, assure l’entretien et relève les compteurs.
En mai 1925, M. Blanc est élu maire de Lissac ; M. Tourrou veut alors quitter la paroisse : nommé curé doyen de Tarascon en janvier 1927, il n’est pas remplacé à Lissac. M. Rauzy, curé de Canté, prend en charge la paroisse (12).
En 1925, l’immigration italienne amène quelques familles à Lissac dont la famille Baracetti. Plus tard viendront à Lissac les familles Marengo, Forestello, Mina…
En mai 1929, la réélection du maire M. Blanc donne lieu à une grande fête (13).
Vers 1930, la traversée du village est goudronnée pour la première fois.
Au début des années 30, une équipe de rugby est créée à Lissac après un malheureux événement survenu à l’équipe de Saverdun : suite au décès d’un joueur (nommé Ozein, instituteur à Esperce) au cours d’un match, quelques joueurs arrêtèrent de jouer et l’équipe ne put poursuivre. Ceux qui voulaient continuer à jouer créèrent l’Union Sportive Saint-Quirc – Lissac ; M. Blanc, de Lissac, en était le président et M. Tallieu, de Saint-Quirc,  le vice-président. Ont joué dans cette équipe : Ernest Boin, Emile Boin, Eliacin Bulles, Romain Eychenne, Pierre Castex, Ernest Débat, Marius Cazalbou, Jean Dupré, Omer Descoins, Julien Galy, ainsi que des joueurs de Saverdun et Pamiers ; un joueur du TOEC, Jean Claverie, marié avec Anna Gay de Saint-Quirc, a joué également quelques matches (sous fausse licence). Les matches se déroulèrent en premier lieu au champ des mûriers, près du chemin de Gentillac, puis au fond du parc du château de Lissac, au terrain dit de la Restanque. Dans ces matches, l’engagement physique allait parfois au-delà du sport. Cette équipe a existé environ trois ans.
Le 26 juin 1939, en même temps que la fête locale, a été célébré le 150ème anniversaire de la Révolution. La fête a été magnifique, huit musiciens, trente tambours et clairons ont prêté leur concours et le député est venu présider cette manifestation (14).
 
 
 
 
La guerre de 39-45
 
 
La mobilisation.
En septembre 1939, la mobilisation provoque le départ sous les drapeaux de nombreux jeunes de Lissac : Louis Doumeng, Maurice Doumeng, Théodore Léoton, Abel Fauré, Ernest Débat, Jean Pessant, Marius Cazalbou, Paul Coffe, Florentin Vidal,…. Ils reviennent à Lissac en juillet 1940, après leur démobilisation.
Paul Coffe, fait prisonnier, s’évade en 1941 avec Henri Caillau, originaire de l’île de Ré ; ils rentrent à Lissac (15).
Armand Berdoulat etait militaire de carrière dans l’aviation (16).
 
Stationnement d’une compagnie militaire.
A la débâcle de mai 1940, une compagnie militaire vient camper à Lissac. Le quartier général était sur la place, à la maison Breil qui appartenait alors à Mlle Gillet (cousine d’Emilien Gillet). Cette compagnie reste environ un mois, jusqu’à la démobilisation (17).
Il y avait également des soldats à Saint-Quirc. Ils venaient se faire soigner à l’infirmerie à Lissac.
 
Les réfugiés.
La commune de Lissac a fait tout ce qu’elle pouvait pour accueillir les réfugiés du Nord de la France et de la Belgique. Dès janvier 1940, le conseil crée un comité d’accueil chargé de tout préparer pour les recevoir et vote un crédit de mille francs pour subvenir aux dépenses de première nécessité. Certaines maisons sont réquisitionnées mais en général, malgré le manque de tact des premiers réfugiés, la population fait tout son devoir à leur égard (18).
De nombreux réfugiés arrivent en mai 1940 ; ils viennent des départements de l’Aisne et du Nord et de Belgique.
Les belges sont arrivés en car à Lissac ; à leur arrivée, ils sont conduits dans leur logement et le comité d’accueil leur fournit le nécessaire. Le chauffeur, nommé Brasseur, était assez autoritaire et voulait tout commander. Ils restent environ deux mois et repartent une nuit, sans aviser la population (une fille avait mis un papier chez Jean Donnadieu).
Ces réfugiés sont logés dans les maisons libres du village ; il y en a chez  Garrigues à Marquèze, Mme Tulié, Oudol, Micheau (actuellement maison Carrière), Donnadieu, Jean-Marie Breau (maison au fond de l’impasse, dite chez Annotte), Baylac, dans les dépendances du château, etc…. (19).
Le ravitaillement pour ces réfugiés est distribué à la mairie.
Plus tard, des réfugiés des Pyrénées Orientales viennent à Lissac (certains sont déjà réfugiés du nord) ; une famille de gitans est logée au presbytère.
Pendant l’hiver 41-42, un professeur à la Sorbonne, M. Jean Boutière, son épouse d’origine polonaise et leur petit garçon ont habité au château près d’un an.
En 1944, une famille de juifs (un tailleur de Toulouse) est venue se cacher à Lissac ; elle est logée au château. Un des enfants allait tous les jours à pied chercher le pain à Saint-Quirc. Un jour, alors qu’il part, une personne va lui dire de ne pas s’y rendre et de rentrer chez lui : les allemands sont à la boulangerie Boin.  
 
Suspension du conseil municipal.
Sous le régime de Vichy, des conseils municipaux ont été dissous, sans doute lorsqu’ils n’adhéraient pas suffisamment aux idées nouvelles ou que des dissensions internes empêchaient la gestion de la commune.
A Lissac, le conseil municipal est dissous le 22 janvier 1941 sous prétexte que le maire, Géraud Berdoulat, et son adjoint, Augustin Vidal, se laissent dominer par des conseillers socialistes, notamment Abel Fauré, opposés à la nouvelle politique.
Lissac est alors considéré comme « un foyer de propagande déguisée et sournoise » influencé par M. Monteil, instituteur à Saint-Quirc et mari de l’institutrice de Lissac (20). En novembre 40, le Préfet de l’Ariège demande à l’Inspecteur Principal de la police spéciale Plancke, détaché à Pamiers, une enquête sur la situation à Lissac. Sur la foi de son rapport (21), le Préfet écrit au Ministre Secrétaire d’Etat à l’Intérieur à Vichy pour lui proposer la suspension du conseil municipal et la nomination d’une délégation spéciale dont il propose la composition : Président, Adrien Castex ; Membres, Jules Mercadié et Bernard Berdoulat.
Le 22 janvier 1941, un arrêté porte dissolution du conseil municipal de la commune de Lissac et nomination de Jules Mercadié et Bernard Berdoulat comme membres et Jules Castex, dit Adrien, comme Président de la délégation spéciale.
Le 27, Géraud Berdoulat remet les pouvoirs de maire à Adrien Castex.
Création du Football-Club-Lissacois.
Début 1941, un club de football est créé à Lissac. Abel Fauré en est le président. Des jeunes de Lissac, des réfugiés du nord et des réfugiés de la guerre d’Espagne (venant d’un camp de Lézat) jouent dans cette équipe. Le premier match du Footbal-Club-Lissacois eut lieu à Auterive, où a été prise la photo ci-dessous (22).
 
Le travail obligatoire.
Quelques jeunes sont réquisitionnés pour le travail obligatoire (notamment toute la classe 42) : Jean Donnadieu, Jean Verguin, Georges Despierre, Joseph Forestello, François Marengo, Vittorio Baracetti.
 
Les cartes d’alimentation.
Les conditions de vie sont difficiles pendant la guerre et les gens manquent de produits de première nécessité, notamment pour l’alimentation. Les familles ont des cartes d’alimentation : le sucre, l’huile, le café, la viande, le pain sont rationnés et délivrés en échange de tickets (23).
La garde de la voie ferrée.
Dans les années 43 et 44, les hommes sont réquisitionnés pour garder la voie ferrée (pour empêcher les sabotages). Des équipes de deux personnes doivent surveiller environ un kilomètre de voie, deux nuits par semaine, sans autre arme qu’un bâton ! (24).
La voie a cependant été sabotée une nuit par le maquis de Justiniac sous Vernou (ferme de Saint-Quirc) ; les maquisards ont fait évacuer la garde avant de faire sauter la voie.
 
Passage des allemands à Lissac.
Une nuit de novembre 42 (après l’envahissement de la zone libre), un convoi d’allemands composé de voitures, camions et canons traverse le village dont les habitants, intrigués par le bruit, se demandent ce qui se passe. Ce convoi, se rendant probablement vers la Méditerranée, cherche un endroit sur les hauteurs pour passer la nuit : une partie a stationné autour de l’église de Saint-Quirc, une autre dans le village à Labatut (25). Le lendemain, le convoi continue sa route.
Au printemps 1944, des soldats allemands (26) traversent plusieurs fois Lissac. Ils ne s’arrêtent qu’une seule fois (au niveau de la croix, en bas de la rue du moulin), allant vers Toulouse ; il s’agit d’un car  transportant des prisonniers qui lèvent les mains pour montrer qu’elles sont ligotées. Ces allemands cherchent à téléphoner et se rendent pour cela à l’épicerie Breil, rue du moulin, où se trouve la seule cabine téléphonique du village.
Lorsque des allemands passaient ou étaient signalés dans les environs, les gens n’étaient pas trop rassurés et évitaient de sortir de peur de les rencontrer.
Ils cherchaient du ravitaillement, notamment dans les fermes (27).
 
Un épisode non élucidé.
Un matin de juin 44, M. François Marengo trouve un papier glissé sous sa porte dans la nuit. Ce papier, correctement écrit au crayon et laissant supposer des connaissances militaires, demande aux hommes valides du village de se rendre la nuit suivante à un lieu indiqué, dans les bois ; des armes leur seraient apportées.
Le soir quelques hommes se réunissent pour décider de la conduite à tenir (28). Il règne une certaine crainte d’être pris par les allemands. Il est finalement convenu de ne pas bouger. Quelques jeunes vont cependant ce soir-là dormir dans les combles du presbytère.
Consulté dans la nuit, M. Saint-Martin, responsable du maquis sur Saverdun, demande de ne rien entreprendre sans ordre de sa part.
Cette affaire n’eut pas de suite ; l’origine de ce papier reste inconnue, peut-être était-ce un piège ?
 
La libération.
Le 3 septembre 1944, M. Durin, délégué du Comité Départemental de Libération Nationale de l’Ariège, est venu installer  à Lissac le comité local de Libération.
Georges Breil est nommé maire.
 
 
 
L’après-guerre
 
 
Pendant les années qui suivent la guerre, les difficultés économiques du pays  persistent. La vie quotidienne reste difficile pour les habitants de Lissac jusqu’au début des années 50 ; les cartes de restriction pour l’alimentation ne seront supprimées qu’en 1947 et les moyens de déplacement restent peu pratiques. Les gens circulent beaucoup à bicyclette ; les carrioles tirées par des chevaux sont nombreuses à traverser le village. Les habitations ont peu évolué, leur entretien est fait au minimum ; elles sont encore loin de posséder les agréments du confort actuel (29).
Mais des évolutions ne vont pas tarder à se produire. Progressivement, les enfants vont poursuivre les études au Cours Complémentaire de Saverdun et se détournent du travail de la terre. Ils ne parlent plus le patois que leurs parents pratiquent encore couramment à la maison comme à l’extérieur. Les gens vont peu à peu s’équiper de moyens de locomotion (motos, « vélosolex » qui apparaît en 1946, puis mobylettes dans les années 50). Les propriétaires d’automobiles restent rares dans le village.
Il circule encore très peu  de voitures sur la route départementale. Cependant, un accident se produit à Lissac la veille de la fête locale 1948. Le samedi après-midi, alors que les jeunes du village s’activent à sa préparation (lumières, guirlandes, montage orchestre), survient un accident peu banal : le conducteur d’une voiture, surpris par la chute d’une guirlande en cours d’installation en travers de la route, perd le contrôle de son  véhicule et percute le parapet amont du pont sur le ruisseau. Une partie du parapet tombe dans le ruisseau et la voiture s’immobilise en travers du pont, prête à basculer, sans autre conséquence (30).
 
Lissac, qui n’avait pas eu de victime pendant la guerre, doit déplorer en 1948 la perte d’un de ses enfants : Roger Breil, sergent-chef, meurt le 6 février en Cochinchine (partie méridionale du Viêt-Nam) lors de la guerre d’Indochine que la France mène contre le Viêt-minh depuis 1946. Il est le fils du maire en exercice, Georges Breil (31).
 
En 1950, on trouve encore dans le village un café (Etienne Breau), deux épiceries (Eugénie Breil et Françoise Pessant, qui a succédé à Mme Darnaud), un cordonnier (Arbefeuille), un électricien (Hyppolite Garrigues), un forgeron (Georges Despierre), trois maçons (Georges Breil, Jean Pessant et Paul Coffe) et un plâtrier (Emile Adallac).
Il y a également un garde champêtre (Jean-Marie Breau), un cantonnier (Jean Soula) et une carillonneuse (Maria Didier).
Jean-Marie Breau (1883-1966) annonce les « avis à la population » à l’aide de son tambour. Il mène aussi une machine pour trier le blé et une presse pour la vendange ; l’hiver, il tue les cochons chez les particuliers à Lissac, Labatut, Canté, Saint-Quirc. Il aime s’amuser et faire bonne chère, qualités nécessaires à l’exercice de toutes ces activités ; bien connu pour cela à Lissac et dans les environs, c’est un des personnages marquants de cette époque (32).  
 
Quelques noms de famille que l’on trouvait près de deux siècles auparavant existent toujours au milieu du XX° siècle : Abribat, Castex, Cassaing, Gaubert, Gillet, Mercadié, Rodes, Vidal,…
 
 
 
 
NOTES
 
 
1.- La ligne Toulouse-Pamiers a été ouverte en 1861, puis jusqu’à Foix l’année suivante. Pour Lissac, la gare la plus proche est celle de Cintegabelle mise en service en 1862.
2.- De 1850 à la fin du XX° siècle, c’est l’exode rural dû à la mécanisation de l’agriculture, à la baisse du niveau de vie des paysans et au besoin de main d’œuvre de l’industrie en plein essor. Par contre, la population de Lissac a augmenté dans la dernière décennie du XX° siècle : 164 habitants en 1990, 176 en 1999 (chiffres du recensement publiés dans La Dépêche du Midi, édition de l’Ariège, du 8 juillet 1999).
La proximité de Toulouse, qui a longtemps contribué au déclin de la population du village, va probablement en favoriser maintenant l’augmentation.
3.- A noter que le château de La Tour appartient à cette époque aux Levassor, famille du constructeur d’automobiles associé à Panhard.
Les automobiles Panhard et Levassor furent certainement les premières voitures à traverser Lissac ; elles étaient bruyantes et les gens du village, les entendant arriver de loin, accouraient au bord de la route pour les voir passer.
4.- Dans le passé, on relève d’autres fermes appelées de Pradas (citée dans acte de 1615), de Jausedo (citée dans acte de 1638), « del Pont » (citée dans acte de 1653), « del Conte », près du village, (citée dans acte de 1656), de Floris (citée dans acte de 1742), de  Gastou (près du moulin), de Mauran (derrière le hangar du château, disparue au XIX° siècle) et de Charret (au-dessus de Pouca).
5.- Lissac a longtemps eu un vignoble important sur les plateaux caillouteux de Pouca et du Parouly, premières hauteurs des coteaux du Terrefort qui séparent les vallées de l’Ariège et de la Lèze. Il semble que la vigne était davantage cultivée à Lissac que dans les communes voisines. A noter que Pamiers et Varilhes possédaient des vignobles importants au XVII° siècle.
D’après le curé Brunet, les vignes de Lissac furent tuées par le terrible hiver de 1709. Quelques années plus tard, il signale de bonnes récoltes en vin. En 1742, il y en eut en si grande abondance que « tout le monde était embarrassé pour trouver des tonneaux pour mettre le vin ».
Dans les années 1960, la plupart des familles possédaient encore une vigne et faisaient le vin pour leur consommation courante. Ces vignes furent peu à peu arrachées dans les années 1970 et 80 ; il n’y a plus de vigne aujourd’hui à Lissac.
6.- M. Delpech habitait dans l’actuelle maison de Paulette Dupré. Il allait chercher des chèvres à Lourdes d’où il revenait à pied en quelques jours. Les gens allaient chez lui chercher du lait.
7.- Avec les moissonneuses-lieuses, on utilise aussi les premières machines à dépiquer qui fonctionnent à la vapeur. A Lissac, entre les deux guerres, Edouard Berdoulat possédait une machine à dépiquer (il était également cafetier et menuisier).
C’est le tracteur, qui commence à être utilisé entre les deux guerres dans les grandes exploitations, qui va permettre une évolution rapide du travail de la terre. Même les petites exploitations s’équiperont d’un tracteur dans les années 1950 et 60 ; mais en même temps, l’orientation des jeunes vers d’autres métiers et la course au rendement entraîneront leur disparition. Il n’y a plus aujourd’hui à Lissac que trois ou quatre exploitants agricoles.
8.- La fontaine Sainte-Anne, sans doute la plus ancienne du village, était autrefois  réputée guérir la stérilité et les maladies de la peau.
9.- Nos grands-parents et nos parents ont longtemps parlé à ce sujet des instituteurs Thalamas et Monié comme nous aussi, enfants des années 1940 et 50, nous parlons encore aujourd’hui de M. Bru.
10.- A noter qu’en décembre 1917 le conseil demande la mise en sursis du forgeron Jacques Despierre, pour ferrer les animaux de labour et réparer les outils aratoires des cultivateurs.
Notes de M. René Bru.
Jacques Despierre était à ce moment-là forgeron à Labatut. Il vint ensuite à Lissac, à la forge Pierré, puis est allé habiter à l’ancienne mairie, aujourd’hui propriété de M. Paul Vidal.
11.- Le courant était distribué à la tension de 115 volts pour la lumière et de 200 volts pour la force motrice. Il provenait de l’usine hydro-électrique de Saverdun et était transporté sous la tension de 5500 volts jusqu’aux transformateurs de Canté, Labatut, Lissac et Saint-Quirc.
Le kilowattheure était vendu 1,20 F pour l’éclairage et 0,65 F pour tous les autres usages. L’abonné devait garantir une consommation annuelle de 60 F pour deux lampes, 72 F pour trois lampes et 90 F pour plus de trois lampes ( 325 F par kilowatt de puissance souscrite pour les autres usages).
L’abonnement était prévu pour au moins cinq ans ; les frais mensuels de location du compteur s’élevaient à 0,50 F pour un compteur de 0 à 3 ampères, 0,75 F pour 3 à 5 ampères et 1 F au-dessus de 5 ampères.
D’après cahier des charges Syndicat Intercommunal du 6 juin 1926.
12.- M. Tourrou (1870-1959) est le dernier curé de Lissac. Après M. Rauzy, ce sont les curés de Saint-Quirc ou de Saverdun qui desservent Lissac.
13.- Après cette fête, lors de son retour à Béziers où il travaillait dans les chemins de fer, M. Blanc eut un accident de voiture au cours duquel son épouse fut tuée et sa belle-mère, Mme Dupuy, blessée à une jambe.
14.- Notes de M. René Bru.  
15.- Henri Caillau est resté à Lissac pour se cacher. Il travaillait à la briqueterie de Saverdun. La famille Caillau a quitté Lissac après la guerre.
16.- Armand Berdoulat est mort en 1942 dans un accident d’avion au Maroc.
17.- Le capitaine et les gradés étaient logés chez Morère, Mme Mounot et Mme Dupuy. Le docteur dormait chez Antonia Gaubert. Les soldats dormaient sur le garage et les écuries de M. Verguin.
Les cuisines étaient chez M. Verguin (bâtiment chemin de Montfort, près Restanque) et l’infirmerie à la maison de Marcel Séguéla, actuellement Garric (infirmier, M. Henri).
18.- Notes de M. René Bru.
19.- Parmi ces réfugiés, sont restés en mémoire les noms de Demarlies (logés chez Donnadieu), Jammesse (logés chez Breil, rue du moulin), Castelain (parents des Darnaud), Druard (logés à la Bergerie à Labatut), Mme Poelmans (couturière restée quelque temps à Lissac ; logée dans la maison Rauch, actuelle maison Géminiani, elle avait ensuite loué chez Castex), et Romont (logés au château) ; tous les dimanches matin, ces derniers se rendaient à pied au temple à Saverdun ; ils étaient originaires de Péruwels, près de la frontière française. Une famille de mineurs d’origine italienne, venant de Thionville, était logée chez Baylac,  au-dessus du garage (famille Nespolo, avec de jeunes enfants).
20.- ADA, 2 M 108 3.
21.- Ce rapport dit notamment :
« M. Berdoulat, ancien marchand de bois, propriétaire, réside actuellement à Labatut, localité distante de quelques kilomètres et ne fait plus que de rares apparitions dans la commune dont il a la charge.
Il a délégué ses pouvoirs à son adjoint, M. Vidal, propriétaire, agriculteur, homme capable, honnête, élu sur la même liste, mais se laissant lui-même dominer par les quelques éléments socialistes qui se sont infiltrés dans le Conseil Municipal en 1935 et notamment par M. Abel Fauré, jeune et actif militant du parti SFIO.
M. Abel Fauré, plus connu dans le pays sous le nom de Abel, âgé de 32 ans, possédant un certain dynamisme, fit une campagne ardente lors des dernières élections et arriva, dans une commune de tout temps radicale, à faire élire cinq candidats socialistes. Membre du Comité de l’office du blé, il sut s’attirer de nombreuses sympathies en promettant aux agriculteurs des jours meilleurs. De là vient son succès aux élections de 1935.
En fait, la commune de Lissac est administrée par M. Abel Fauré, conseiller municipal, et non plus par M. Berdoulat qui paraît se désintéresser des affaires communales.
D’autre part, il se confirme que le mari de l’institutrice de Lissac, le nommé Monteil, instituteur à Saint-Quirc, dont les idées sont acquises aux partis de gauche, aurait une certaine influence sur les esprits des électeurs et aurait contribué au succès de M. Fauré.
A titre confidentiel et sous toutes réserves, je me permets de vous signaler qu’il m’a été rapporté que Monteil, en prévention de conseil de guerre avec de nombreux militaires de son unité pour avoir rejoint son domicile sans ordre, aurait été suspendu de ses fonctions d’instituteur ».
ADA, 2 M 108 3.
A noter que Géraud Berdoulat n’a jamais habité Labatut ; il y a peut-être confusion dans ce rapport avec Bernard Berdoulat qui habitait à la ferme de La Pessade à Labatut ou avec Edouard Berdoulat, cafétiste et menuisier.
M. Monteil fut suspendu de sa fonction d’instituteur ; il faisait alors la comptabilité à la boulangerie Boin, à Saint-Quirc.
En 1941, Madame Monteil est nommée institutrice à Carcanières, ce qui est sûrement une sanction. M. René Bru la remplace à Lissac.
22.- Plus tard, dans les années 50 et 60, le Football-Club-Lissacois a joué, certaines saisons, les premiers rôles en première série du district de l’Ariège.
23.- Il y avait plusieurs catégories de cartes : J1 (pour les bébés), J2, J3, adulte, travailleur de force.
24.- Cette garde était contrôlée. Une nuit, une équipe n’est pas allée surveiller la voie ; convoquée à la mairie de Saverdun, elle reçut quelques remontrances et comme menace de sanction… « on va vous séparer ».
25.- La place de Labatut était, paraît-il, remplie de véhicules. Le lendemain matin, M. Salvayre ne put ouvrir ses volets : ils étaient bloqués… par un canon !
26.- Il s’agissait probablement de S.S. de la division « Das Reich », de sinistre réputation, dont un bataillon était stationné à Miremont, Grépiac, Le Vernet et Venerque.
Cette division était venue dans la région autour de Toulouse en avril 1944, son Etat-Major étant installé à Montauban. Elle avait été envoyée là pour contrôler l’axe Atlantique-Méditerranée en prévision d’un débarquement des alliés que les Allemands savaient imminent. En appui de la Gestapo, elle commit crimes et représailles dans la région.
Après le débarquement allié du 6 juin, cette division remonta vers la Normandie en plusieurs convois et fit de nombreuses exactions sur son passage (notamment massacre de Oradour sur Glane le 10 juin). Le bataillon cantonné à Miremont, Grépiac, Venerque et Le Vernet partit le 24 juin. Les derniers effectifs de la division « Das Reich » prirent la route le 26 juillet.
Voir Jacques Delarue, Trafics et crimes sous l’occupation, Fayard, 1968.
Près de Saverdun, il y eut le massacre de Justiniac (6 morts le 26 juin) et l’exécution de trois personnes à Calmont (le 16 juillet).
27.- A Testes (métairie de Saint-Quirc), ils firent même un jour atteler le cheval pour arracher un rang de pommes de terre.
28.- Ce rassemblement eut lieu dans la maison Pessant (au coin fait par la route et la rue du moulin). Jean Pessant rentrant du travail à la tombée de la nuit fut tout surpris de trouver sa maison remplie d’hommes se demandant s’il fallait obéir à cette demande.
Louis Despierre s’était habillé d’un manteau pour partir ; François Proudhom voulait aller se cacher dans son propre bois… Jean Pessant refusait de partir, dit que pour sa part il allait se coucher et demanda aux jeunes d’en faire autant. Vers une heure du matin, ne pouvant dormir, il alla voir François Marengo (ce dernier se cachait la nuit car il n’était pas reparti au travail obligatoire, Marengo père lui indiqua la cachette). Il conseilla à François Marengo d’aller dans la nuit à Justiniac, à vélo, voir Laurent Saint-Martin.
Ce dernier lui dit qu’ils avaient bien agi, que c’était sûrement un piège ; s’il y avait un jour un risque, il viendrait lui-même à Lissac ou enverrait quelqu’un de sûr.
29.- Il faudra encore attendre une vingtaine d’années pour que les habitations soient confortablement aménagées (arrivée de l’eau courante en 1965 seulement).
A noter que le premier propriétaire d’une télévision à Lissac fut M. Vaucoret en 1958 (à l’occasion de la coupe du monde de football).
30.- Quelques minutes auparavant, l’auteur de ces notes était assis sur ce parapet d’où il observait les préparatifs de la fête.
31.- Une plaque de marbre dans la chapelle du Sacré-Cœur rappelle cette disparition.
32.- Jean-Marie Breau fut aussi un temps sacristain. Son père, Jean Breau, jouait de l’harmonium et son grand-père, Etienne Breau, fut le bedeau du curé Cazajus.
 
 
PAGE SUIVANTE  
 
ACCUEIL